Salaire et reconnaissance des élus du personnel : qu’apporte vraiment la loi Rebsamen ?

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La loi Rebsamen introduit dans le code du travail une garantie d’évolution des rémunérations des élus du personnel, des entretiens consacrés à l’exercice de leur mandat et un dispositif de valorisation des compétences acquises par les élus de CE, membres de CHSCT et autres délégués du personnel. Qu’en sera-t-il vraiment sur le terrain ?

 

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La Loi Rebsamen met en place des dispositifs en faveur de la reconnaissance du travail des mandatés. Mais dans quelles mesures seront-ils efficaces ?

Les Assises du CHSCT, qui ont eu lieu les 9 et 10 mars derniers au Stade de France en parallèle du salon Elucéo, ont donné accès aux élus du personnel, à nombre de conférences sur le fonctionnement de leurs instances. L’une d’elle a intéressé particulièrement notre journaliste de Trouver-une-formation-CSE.com sur la protection de la carrière et de la rémunération des élus dans la loi Rebsamen. Cette conférence était animée par Anne-Sophie Carlus, avocate au barreau de Paris et Jean-Baptiste Merlateau, juriste en droit social et responsable de la formation de JDS Avocats.

 

 

La garantie d’évolution des rémunérations réservée aux mandats internes à l’entreprise

Le principe est honorable et peut faire espérer une évolution de la reconnaissance du mandat dans les entreprises, par la garantie de l’évolution de la rémunération de l’élu. Cependant, la loi restreint l’accès à cette mesure aux seuls titulaires de mandat (les suppléants en sont donc exclus), soit : les délégués syndicaux ; les élus du comité d’entreprise ; les membres du CHSCT ; les membres des groupes spéciaux de négociation et membres du comité d’entreprise européen, du comité de la société européenne ; du comité de la société coopérative européenne et du comité de la société issue de la fusion transfrontalière.
En conséquence, la loi (art. L. 2141-5-1 CT) exclut les salariés mandatés dans les entreprises en l’absence de délégué syndical, mais aussi les représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance ; les conseillers prud’homaux ; les conseillers du salarié et plus généralement tous les mandats extérieurs à l’entreprise.

 

Une garantie profitable aux titulaires de « gros mandats »

Vous faites partie des heureux élus désignés par la loi ? Bravo, mais d’autres conditions viennent s’ajouter à la liste précédente, restreignant encore le champ d’application et les espoirs des mandatés. Les représentants du personnel qui peuvent bénéficier du dispositif doivent également cumuler un nombre d’heures de délégation qui dépasse 30 % de la durée du travail fixée dans leur contrat de travail, ou, à défaut, la durée applicable dans leur établissement. Ce dispositif implique donc un cumul de mandats titulaires : CE, DP et CHSCT. Soit, au final peu d’élus du personnel ! 

 

Mais comment apprécier cette limite de 30 % ?

Les experts précisent : « il semble que seuls doivent être pris en compte les crédits d’heures de délégation, légaux ou conventionnels à l’exclusion :
– des temps passés en réunion sur convocation de l’employeur
– du temps de déplacement pour se rendre à ces réunions.

 

Un dispositif contradictoire qui devrait créer nombre de jurisprudence

Voici une autre lacune : seules sont prises en compte les heures de délégation, or l’activité du représentant du personnel dépasse ce cadre-là, avec les réunions de négociation, les réunions d’information, les temps de déplacement pour aller à ces réunions. Ce temps, considéré par la loi comme du temps de travail, ne l’est plus dans le cadre de ce dispositif. D’où un dispositif contra legem (contradictoire avec la loi même) ! Cela vaut d’aller devant les tribunaux pour soulever ce problème et créer des cas de jurisprudence, insiste Maître Carlus, avocate au barreau de Paris.

 

Comment décompter le temps de délégation ?

L’article L. 2141-5-1 du code du travail* précise que la situation du représentant du personnel doit être comparée prioritairement avec les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et avec une ancienneté équivalente. A défaut, le dispositif doit prendre en compte l’ensemble des salariés de l’entreprise, c’est-à-dire l’intégralité des établissements et des salariés.

 

Comment faire en cas de dépassement d’heures de délégation ?

Les avocats vous suggèrent de réclamer un ajustement à votre employeur, à l’amiable.  
Si vous n’obtenez pas gain de cause, il sera temps d’agir par voie de justice.

 

Inconvénient : la majorité des entreprises appliquant des augmentations individuelles et mettant de côté des enveloppes consacrées à l’évaluation des performances des salariés, les comparaisons vont s’avérer difficiles et sans doute défavorables aux élus du personnel concernés. Sans compter qu’il faudra trouver des salariés relevant de la même catégorie et de la même ancienneté – une situation équivalente à celle d’une femme de retour de congé de maternité. A défaut de pouvoir comparer réellement, on se référera aux augmentations générales et moyennes.
Il est à noter également que la garantie doit s’appliquer par mandature sur l’ensemble de la durée du mandat, sans limite de durée, même en cas de mandats successifs.

 

De la nécessité de négocier sur le sujet

Les avocats rappellent que la notion de rémunération est définie par l’article L. 3221-3 du code du travail, soit « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés en espèces ou en nature en raison de l’emploi ».

Comment décompter la durée de travail d’un représentant du personnel ?

En calculant les temps consacrés à la délégation et les déduire du temps de travail. La loi ne donnant aucune indication à ce sujet, on peut ainsi considérer par défaut qu’une journée égale 7 heures de travail.

 

Les professionnels incitent à considérer le nombre d’heures effectives et non théoriques de délégation et de ne pas avoir une lecture littérale du texte. « Il faut bien garder en tête que ce dispositif est soumis à négociation » précise M. Merlateau. « Il est donc dans votre intérêt de négocier un accord d’entreprise sur ce sujet pour intégrer dans ces heures le temps au-delà des heures de délégation, et en particulier le temps passé en réunion. »

Autre constat défavorable à l’élu et non pris en compte par la loi : le dépassement du crédit d’heures par effet de mutualisation par exemple. Il est donc important d’essayer d’améliorer le texte au travers d’un accord négocié.

 

 

L’utilité de la BDES ou base de données unique

Comment, pour négocier ou simplement pour appliquer le texte, avoir les informations nécessaires au calcul ? Premier conseil : se référer aux augmentations réelles et non aux enveloppes théoriques, et surtout, consulter la BDES, base de données économiques et sociales qui doit être à la disposition des élus du personnel. Il est à noter que les augmentations liées aux promotions, à l’avancée de carrière, ne doivent pas être prises en compte.

Si l’employeur ne donne pas les informations demandées ce sera alors par le biais d’un juge que vous pourrez les réclamer et les obtenir. Cependant, la loi ne prévoyant pas l’accès à cette information précisément et n’obligeant pas l’employeur à communiquer chaque année sur les augmentations : le bilan social, les NAO et l’expert-comptable du CSE sont des sources à utiliser. L’expert-comptable du comité d’entreprise est un acteur clef car il a accès à ces informations de rémunération. En revanche, s’il pourra juste vous confirmer la validité des éléments chiffrés que vous souhaitez utiliser, il ne pourra pas réaliser pour vous la comparaison.

 

La loi Rebsamen sur les IRP : une utilité limitée

L’avocate de JDS précise par ailleurs que la loi Rebsamen, trop restrictive, ne sera pas efficace pour faire progresser la reconnaissance des mandatés, car jusque-là, s’il n’y avait pas de loi, le contentieux est très fourni en matière de discrimination syndicale et notamment sur la rémunération. Une série de décisions a déjà permis aux représentants du personnel d’obtenir une réponse judiciaire à la discrimination syndicale et il n’y a pas de raison que cela change selon la professionnelle. 
D’autre part, l’avocate relève que la loi valide par ce texte une autre forme de discrimination, car pourquoi n’avoir qu’une moyenne d’augmentation si vous avez été un salarié performant ? 

Avertissement : l’intérêt de négocier pour éviter une mise en place a minima

Les professionnels du droit constatent que dans certaines entreprises qui appliquaient jusque-là un dispositif de moyenne d’augmentation, les dirigeants ont tendance à déclarer vouloir appliquer « le socle Rebsamen », alors que les conditions étaient plus favorables jusque-là.  Ainsi, pour éviter les régressions dans votre entreprise, vous avez tout intérêt à négocier pour maintenir les pratiques qui y sont déjà installées ou pour améliorer encore les conditions d’application. 

 

*article L.2141-5-1 du code du travail : « Les représentants du personnel bénéficient d’une évolution de rémunération au moins égale, sur l’ensemble de la durée de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise ».

 

Philippine Arnal-Roux