Disparition des CHSCT. Quelle marge de manœuvre reste-t-il ?

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Un groupe de citoyens, représentants des salariés, mais aussi inspecteurs du travail, syndicalistes, spécialistes de l’analyse du travail, de la santé au travail ou juristes, se sont réunis pour signifier leur opposition à la suppression des comités d’hygiène, de santé et des conditions de travail prévue par les ordonnances Macron.

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L’assemblée nationale des CHSCT a réuni près de 200 personnes pour défendre l’existence de l’instance « la plus importante dans l’entreprise »

Ce mouvement, c’est d’abord matérialisé par une pétition, signée par quelques 1 200 personnes, puis par cette assemblée nationale qui a réuni près de 200 personnes ce lundi 4 décembre dans une annexe de la Bourse du travail à Paris. Toute la journée, les témoignages se sont succédé, traduisant tantôt le doute, tantôt la colère ou encore la révolte pour d’autres face au déni de tant d’années de travail en faveur de l’amélioration des conditions de travail des salariés, dont font preuve les décisions du gouvernement et les parlementaires qui ont ratifié les ordonnances.

Quelle marge de manœuvre après la ratification des ordonnances ?

« Il est vrai que le projet de loi de ratification des ordonnances a été voté mardi dernier par les députés, mais ce n’est qu’en première lecture : il doit encore passer devant le Sénat, temporise, avec un peu de fébrilité dans la voix, Christine Castejon, ergonome à  l’initiative du mouvement. Ensuite il y a la mission sur la santé au travail confiée par Mmes Pénicaud et Buzyn au syndicaliste Jean-François Naton, notamment et les décrets à paraître. » L’équipée de militants pense donc avoir encore un peu de marge de manœuvre pour influer sur le devenir des CHSCT.

Le CHSCT, l’instance la plus importante dans l’entreprise

Au cours de la journée du 4 décembre à la Bourse du travail, les témoignages se sont enchaînés.

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Mohamed Ahmed Dini, secrétaire de CHSCT de Velib a témoigné du pouvoir important du CHSCT pour défendre la santé des salariés.

Pour Mohammed Ahmed Dini, trois mandats à son actif comme secrétaire du CHSCT de Vélib, face à « un turn-over très important et un management infantilisant, le CHSCT est l’instance de représentation du personnel la plus importante dans l’entreprise ». Celle qui permet, à chaque réunion, de faire se déplacer dans l’entreprise des représentants de la Cramif, de l’inspection du travail, pour les prendre à témoins et parvenir ainsi à diligenter des expertises sur la santé des travailleurs. « Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont nombreux dans nos métiers de mécaniciens et de manutention » rappelle Mohammed, qui ajoute que l’action du CHSCT permet de montrer chaque jour à la direction que « les hommes ne sont pas des outils de travail dont on peut se débarrasser facilement ».

L’arrêt Snecma ou l’arrêt de mort du CHSCT ?

En mai 2008, la Cour de cassation a validé le fait qu’il était possible pour le juge des référés de suspendre une réorganisation source de risques pour les salariés. La décision considère que compte tenu de l’obligation de sécurité de l’employeur, il lui est interdit de prendre des mesures qui auraient pour conséquences la dégradation de la santé et de la sécurité des salariés. Une véritable entrave à la mise en place de projets de réorganisation d’entreprise qui a eu pour effet la volonté affichée du Medef de supprimer le CHSCT.

Une action structurée des CHSCT sur le terrain pour trouver des solutions communes

Pour Floréal Marin, secrétaire d’un des CHSCT des Aéroports de Paris, qui en comptent neuf représentant des catégories de personnel très divers (90 000 salariés sur Roissy), les comités d’hygiène jouent un rôle essentiel. « Une action structurée de tous les CHSCT sur le terrain permet d’avoir des réponses adaptées et communes à des situations de travail très diverses, notamment en matière de prévention des risques pour les sous-traitants et les intérimaires ».

Pour Jean-Philippe Foa, membre du CHSCT de l’ANRH, qui réunit 25 entreprises adaptées et 1 500 salariés, le maintien du CHSCT est d’autant plus indispensable que le droit du travail n’est pas correctement appliqué sur le terrain et que les accords d’entreprise ne sont déjà pas forcément respectueux des conditions de travail des salariés, notamment handicapés. La preuve en est, selon lui, que les accidents du travail augmentent dans son entreprise.

Préserver le droit d’alerte des délégués du personnel

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L’appel du groupe de citoyens militants pour défendre l’existence du CHSCT a été signé par 1200 personnes.

C’est au tour d’un membre de CHSCT de la RATP (7 500 salariés) d’exprimer ses doutes et ses questions sur l’avenir de l’instance. « Nous aimerions connaître les conditions de passage du CHSCT vers le CSE. Je suis rassuré de savoir que, même si les délégués du personnel disparaissent, nous gardons leur droit d’alerte. En effet, ce droit d’alerte, nous le déclenchons jusqu’à 25 fois par an ! »

« Dans notre entreprise, l’AFP, notre principale mission est de faire comprendre aux salariés, des journalistes notamment très investis personnellement, que leur santé est plus importante que leur travail. Nous y parvenons peu à peu », illustre à son tour une membre de CHSCT de l’Agence France Presse.

Réintroduire le travail réel dans les plans de prévention

Gentiane Thomas, DSC CGT dans l’entreprise du secteur chimique Solvay, rappelle à son tour les événements d’AZF et le rôle déterminant des CHSCT dans l’enquête, qui ont permis de démontrer la responsabilité et les négligences de l’employeur. Les plans de prévention se construisent la plupart du temps très éloignés de l’intérieur des sites de production et des usines rappelle-t-elle, c’est pourquoi « il faut réintroduire le travail réel dans les plans de prévention des entreprises ».

Remettre la question du travail dans nos entreprises, c’est aussi la réflexion du secrétaire de CHSCT de l’académie de Créteil, dans l’Education nationale. « Avant, nous avions les CHS, les CHSCT dans la fonction publique n’existent que depuis 2011, cela se met en place lentement, mais aujourd’hui on voit que cela se met en marche. On a par exemple obtenu des décharges fonctionnelles qui permettent aux élus d’aller sur le terrain à la rencontre des collègues. » Si à ce jour, c’est le CHSCT du secteur privé qui est menacé, les expériences de mise en place dans le secteur public contribuent à démontrer son utilité.

Comment préserver le savoir-faire de générations d’élus du personnel ?

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Les témoignages de membres de CHSCT se sont succédé le 4 décembre 2017.

En filigrane, tout le long de la journée, ce sont donc des témoignages sur l’utilité et l’efficacité du comité d’hygiène, de santé et des conditions de travail qui se sont enchaînés : mettre l’employeur devant ses responsabilités et prévenir les risques et les maladies professionnelles sont des missions qui ont été décrites nombre de fois. Une question sous forme d’inquiétude est revenue aussi de manière récurrente : « Si le CHSCT disparaît, comment ne pas perdre ce savoir-faire de générations de militants, sur l’analyse et la connaissance du travail ; que va devenir aussi la confiance que les salariés ont dans leurs élus ? » Et en conclusion, le leitmotiv : « Il faut se battre pour maintenir les prérogatives des CHSCT. Rendez-vous en juin 2018 », annoncent les organisateurs de l’Assemblée nationale des CHSCT, à condition que ‘la messe ne soit déjà dite’.

Télécharger l’appel des CHSCT

Site de l’Assemblée nationale des CHSCT : http://assemblee-nationale-chsct.org/poursigner/

Les syndicats de professionnels du CHSCT œuvrent dans l’ombre

En parallèle de cette action citoyenne, la résistance s’organise par des voies qui ne se rejoignent pas forcément. Les syndicats d’experts CHSCT œuvrent de leur côté en fonction de leur réseau relationnel et de leur proximité avec les membres du gouvernement. Le SEA en particulier, syndicat des experts agréées (sea-chsct.fr), qui se targue de représenter 83 % des expertises CHSCT du marché (350 intervenants annoncés dont Secafi, Apex-Isast, Impact études, Syndex, Technologia, etc.) a ses entrées au ministère et tente de faire pression discrètement. De son côté, l’Adeiac (adeiac.fr), association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT regroupe 30 cabinets et professionnels spécialisés dans les questions de santé au travail. Ses membres (certains communs au SEA) ont sollicité un rendez-vous dans quelques jours auprès de la Direction générale du travail pour être tenus au courant de la suite des événements et mesurer ainsi la marge d’action dont ils bénéficient.

 

Philippine Arnal-Roux