Salarié lanceur d’alerte : à quelles conditions ?

Sommaire

Accéder au statut de salarié lanceur d’alerte n’est possible que si l’individu relate des faits qui constituent un délit ou un crime. C’est ce qu’a rappelé la cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2020.

 

lanceur d alerte licenciement et protection

Le salarié qui alerte de bonne foi sur des faits qu’il juge anormaux ne peut pas être licencié, mais n’accède pas obligatoirement au statut de lanceur d’alerte. Photo : Unsplash

Nous sommes au printemps 2016, le projet de loi El Khomri vient d’être présenté et suscite de nombreuses critiques. Un consultant de l’entreprise Eurodécision, spécialisée dans le développement de solutions logicielles, est lui-même vent debout contre le projet de loi. Alors qu’il est en mission au sein d’un technocentre Renault, il propose alors aux syndicats du constructeur automobile, entre autres actions, de diffuser le documentaire « Merci Patron ! » afin d’engager un dialogue avec les salariés de l’entreprise (Source : Dalloz actualité*).

 

La hiérarchie de Renault, qui a vent de ces échanges, s’en plaint auprès d’Eurodécision, qui « recadre » son salarié lors d’un entretien le 16 mars 2016. Son employeur lui explique alors que Renault surveille étroitement les messageries électroniques de ses syndicats et qu’en tant qu’intervenant extérieur, il ne doit pas discuter avec les syndicats. Ce que l’employeur ne sait pas, c’est que le salarié enregistre leur conversation, qu’il décide ensuite de diffuser sur internet. Licencié pour faute grave le 21 avril 2016, le consultant va porter cette affaire auprès des tribunaux en faisant valoir sa position de lanceur d’alerte pour voir son licenciement annulé. Les syndicats se joignent alors à ses demandes. Après plusieurs années de procédure, la cour de cassation vient néanmoins de lui refuser ce statut. Explications.

 

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Atteinte à la liberté d’expression

Dans un premier temps, le consultant a bien eu gain de cause. Pour la cour d’appel de Versailles, l’employeur a, en effet, porté atteinte à la liberté d’expression du salarié. Selon elle, « le salarié avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause son droit à sa libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos enregistrés tenus par son employeur » (Source : cabinet Rostaing*). Dans un second temps le salarié avait alors procédé à la révélation de ces faits d’atteinte à la liberté d’expression.

La cour d’appel avait donc déduit que la demande du salarié était recevable à invoquer le statut de lanceur d’alerte et avait conclu à l’annulation du licenciement. En conséquence de quoi, elle avait demandé à l’entreprise Eurodécision de verser diverses sommes au salarié ainsi qu’aux syndicats. Mais l’employeur s’était alors pourvu en cassation, arguant qu’aucune faute pénale ne pouvait lui être reprochée et que, dès lors, le salarié ne pouvait être qualifié de lanceur d’alerte.

 

 

Pas de délit ni de crime

Cet argument a été repris par la cour de cassation, qui a estimé que l’employeur n’avait commis ni délit ni crime. Or il s’agit de l’une des conditions pour être qualifié de lanceur d’alerte. Dans son arrêt du 4 novembre 2020 (n°18-15669), la Haute juridiction a ainsi rappelé que, selon l’article L1132-3-3 du code du travail, « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».

En statuant que le salarié pouvait être qualifié de lanceur d’alerte, « sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime, la cour d’appel a violé le texte susvisé » a affirmé la Haute juridiction, qui a donc refusé au salarié ce statut.

 

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Un salarié lanceur d’alerte de bonne foi

À noter toutefois que le salarié remplissait bien les deux autres conditions pour être qualifié de lanceur d’alerte. Outre que les faits dénoncés doivent être délictueux ou criminels, le code du travail précise en effet que pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte :

  • Le salarié doit dénoncer des faits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Dans cette affaire, c’était le cas.

 

  • Le salarié doit être de bonne foi, une notion « qui peut être interprétée comme la croyance légitime du salarié en la commission desdits faits » (Source : Village de la justice*). Dans cette affaire, c’était également le cas. En effet « sa mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, ne semblait pas pouvoir être retenue dès lors qu’il avait simplement diffusé un enregistrement dont la véracité n’était pas contestée » (Source : Dalloz*).

 

 

 

De quelle protection bénéficie un lanceur d’alerte ?

 

Selon le guide publié par le Défenseur des droits*, le lanceur d’alerte a droit :

• à la nullité des représailles dans le cadre professionnel ou personnel ;
au bénéfice d’un régime d’irresponsabilité pénale ;
• à la garantie de confidentialité de son identité ;
à la protection contre toute personne qui tenterait de l’empêcher d’effectuer une alerte, par la perspective de sanctions pénales et civiles.

 

Lou-Eve Popper

 

 

*Dalloz :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/lanceur-d-alerte-pas-de-protection-du-salarie-en-l-absence-de-faute-penale-de-l-employeur

*Cabinet Rostaing :

Le salarié n’est un lanceur d’alerte que s’il révèle des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime

* Arrêt du 4 novembre 2020 de la Cour de Cassation :
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/chambre_sociale_3168/2020_9595/novembre_9936/969_04_45901.html

*Défenseur des droits :
https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/guide-lanceuralerte-num-v3.pdf

*Village de la justice :
https://www.village-justice.com/articles/Lanceurs-alerte-Nullite-licenciement-salarie-ayant-denonce-bonne-foi-des-faits,22782.html

*Article L1132-3-3 du Code du travail : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033611283