Est-il possible d’interdire le port du voile en entreprise ?

Sommaire

Si le règlement intérieur ne mentionne pas le principe de neutralité et l’interdiction du port visible d’un signe politique, de philosophie ou religieux sur le lieu de travail, l’interdiction faite à une salariée peut être considérée comme discriminante.  

 

port du voile en entreprise

Photo : Unsplash

En 2015, une salariée de l’enseigne Camaïeu revient de son congé parental avec une tenue inédite jusque-là : un foulard cachant ses cheveux, ses oreilles et son cou, montrant clairement un signe de profession de foi islamique. Face au refus de son employée de retirer son voile en présence de la clientèle, l’employeur lui propose de rester travailler dans la réserve le temps que le siège de l’entreprise prenne une décision. Quelques mois plus tard, elle est licenciée pour cause réelle et sérieuse. En conséquence, la salariée a saisi le tribunal des prud’hommes arguant qu’elle a été victime de discrimination en raison de ses convictions religieuses.

Condamné, l’employeur fait appel, mais la cour confirme que le licenciement de la salariée est discriminatoire et doit être annulé. Il se pourvoit donc en cassation, cependant la Haute cour confirme les décisions précédentes.

 

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Les impératifs commerciaux peuvent-ils justifier une restriction vestimentaire ?

La salariée avait mis en avant le motif discriminatoire tenant à ses convictions religieuses. La cour d’appel de Toulouse était allée dans son sens en rejetant l’argument de l’employeur selon lequel l’interdiction du port du foulard s’appuyait sur une exigence professionnelle « essentielle au développement de son activité commerciale assise sur une conception de l’image de la femme contraire à celle communément perçue chez celles qui arborent le foulard islamique ».
La cour constatait également l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur ou dans une note de service.

A son tour, la cour de cassation a rappelé que :

– les restrictions touchant à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir ; mais aussi répondre à « une exigence professionnelle, essentielle, déterminante et proportionnée, poursuivant un objectif légitime ».

le règlement intérieur ou une note de service peut prévoir une clause de neutralité interdisant tout signe politique, de philosophie ou religieux sur le lieu de travail applicable aux seuls salariés en contact avec la clientèle.

D’ailleurs, conformément à une délibération rendue par la Halde en 2008 au sujet d’un autre cas concernant également la société Camaïeu, « les impératifs commerciaux, dans le cadre d’une relation avec la clientèle, liés à l’intérêt de l’entreprise, peuvent justifier une restriction apportée au port d’un signe religieux ».

De son côté, la cour européenne de justice a acté le principe qu’une règle interne à l’entreprise puisse apporter des restrictions à la liberté religieuse des salariés et va même plus loin en excluant toute limitation aux seuls salariés en contact avec les clients.

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Port du voile en entreprise. Si pas de clause de neutralité, la discrimination est caractérisée

Cependant, dans ce cas précis, il semble qu’aucune clause de neutralité n’a été rédigée dans le règlement intérieur de l’entreprise ni dans le contrat de la salariée. C’est pourquoi l’interdiction faite par l’employeur de porter le foulard islamique caractérise une discrimination fondée sur les convictions religieuses, quand bien même il pourrait justifier d’une politique générale de neutralité et d’une exigence professionnelle… Selon un autre cas de jurisprudence (cour de cassation, chambre sociale, 8 juillet 2020, n°18-23.747), à ce stade, seul l’invocation d’un risque d’hygiène ou de sécurité pourrait justifier une restriction du port de signes religieux.

Par ailleurs, les arguments de l’employeur tentant de justifier « l’exigence professionnelle essentielle et déterminante », sont apparus comme trop subjectifs et pas suffisamment tangibles au regard des juges, puisque relevant surtout de la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers de ses clientes.

 

A consulter :
Cass. soc., 14 avr. 2021, pourvoi n° 19-24.079, arrêt n° 479 FS-P
CJUE, 15 juillet 2021, affaires C 804-18 et C 341-19

Sources : Village de la justice ; CMS Francis Lefebvre