Éric Ferrères. Le cheminot devenu expert en relations sociales

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Ancien dirigeant de la fédération CGT cheminots, Eric Ferrères est désormais expert en relations sociales et en droit du travail, chargé d’études à l’Observatoire social SNCF. A 40 ans, son parcours professionnel et militant a révélé son sens politique et ses compétences de négociateur.

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Eric Ferrères, ancien contrôleur de train devenu expert en relations sociales au fil des expériences et des formations.

Éric Ferrères est de ceux qui font mentir le modèle de reconnaissance sociale français. Né à la fin des années 70, il ne fait pas partie d’une génération où les autodidactes sont valorisés. Bien au contraire, le diplôme est présenté comme le sésame à tout emploi ; et son absence, le symbole de la porte fermée à des postes « à responsabilité ». Pourtant, c’est avec son bac sous le bras et quelques années non validées en fac de psychologie, qu’il commence sa vie professionnelle dans le milieu associatif. D’organisateur bénévole de festival, il devient animateur socio-culturel, puis directeur d’un centre de loisir, en plus de s’investir dans le conseil municipal de sa commune de Haute-Garonne. « C’est au travers de cette expérience d’élu que j’ai commencé à comprendre les enjeux de pouvoir ainsi que les limites des choix politiques à l’échelle locale » analyse-t-il avec le recul.

Formation et expérience amère de terrain

Encarté au PC (ce qu’il n’est plus aujourd’hui), il suit des formations délivrées par le Parti communiste pendant lesquelles il découvre notamment la littérature politique. Puis par nécessité, il entre dans le secteur privé et le monde de la grande distribution en particulier. Là il est confronté à des conditions de travail difficiles et à des injustices sociales qu’il ne peut pas longtemps laisser passer sans réagir : heures d’inventaires non payées, syndicat maison et application contestable du droit du travail. Il commence à protester et se rapproche du syndicalisme – de la CGT en particulier – dans le but d’acquérir les connaissances et l’appui pour défendre les salariés de son entreprise ; des collègues qui n’osent rien dire, de peur de perdre leur emploi. Dès lors, il subit des actes de malveillance et de discrimination dans son travail, il se bat mais la pression est si forte qu’il est contraint à la démission. Sa première expérience du syndicalisme est bien amère.

Difficile de défendre en même temps une idéologie et l’ensemble des salariés

Désormais vendeur dans une boutique de téléphonie, il reçoit une formation technique et s’investit dans son nouveau poste, jusqu’à choisir de bifurquer vers un autre chemin professionnel et de passer l’examen de contrôleur de train à la SNCF, qu’il obtient. Après sept mois de formation, il est affecté à son premier poste. Dès lors, son engagement au sein de la CGT, fortement implantée au sein de la SNCF, prend de l’ampleur : rapidement il est élu délégué du personnel titulaire, il entre au CHSCT (comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail), puis au bureau du comité d’entreprise des cheminots de Midi-Pyrénées. Le budget du comité d’entreprise est important avec près de 5 000 agents représentés, des restaurants, des centres de loisirs et des bibliothèques. Éric Ferrère est en charge de deux commissions du CE, puis devient adjoint au secrétaire de CE. Son sens social est bien mis à profit, il s’épanouit dans ses rôles de militant et de représentant des salariés avec lesquels il continue d’apprendre, chaque jour. Cependant, il s’aperçoit aussi que la position politique d’un membre de la CGT n’est pas toujours compatible avec la mission d’élu du personnel : « Difficile de défendre en même temps des postures politiques et les intérêts des salariés » constate-t-il.

De l’UD au bureau de la CGT Cheminots à Montreuil

Entré à la SNCF en 2002, Éric Ferrères suit une progression militante sans faute, devenant en 2005, secrétaire général du syndicat CGT des cheminots de Midi-Pyrénées (soit 700 syndiqués dont 400 actifs), puis membre de l’union départementale de la CGT. En 2008, Didier Le Reste, alors secrétaire général de la CGT Cheminots l’appelle pour faire partie du bureau fédéral à Montreuil, qui regroupe 15 dirigeants de la fédération. Il s’agit d’abord d’y être présent deux jours par semaine, puis en 2009, Éric Ferrères est chargé du dossier « Secteur social » qui concerne les sujets délicats des retraites, des salaires et de la protection sociale des cheminots. Rapidement, il devient permanent et agent SNCF en service libre et doit quitter le sud-ouest de la France pour s’installer à Paris avec sa famille, où commence une nouvelle vie.

La montée en compétences du syndicaliste, un pari risqué

S’éloignant de son poste de contrôleur, Éric Ferrères aspire à présent à se spécialiser et en 2011, il suit un cursus de formation continue à l’Ecole de la Sécurité sociale, l’EN3S, pour devenir auditeur sur le thème de la protection sociale. En parallèle, au sein de la fédération, il s’aperçoit qu’il est de plus en plus classé « progressiste » face à un Didier Le Reste réputé « radical » et à la tête d’un bureau fédéral « téléguidé par le PC ». Affirmant de plus en plus ses positions politiques et sa préférence pour une culture du débat face à une posture de blocage à tout va, le jeune dirigeant syndical aspire aussi à monter en compétences en intégrant un master en relations sociales. Éric Ferrères voit ses relations avec le bureau se tendre, il est contraint de préparer la suite : son réseau et son sens  » social » lui permettent d’arriver à ses fins et il intègre le master Négociation et relations sociales à Dauphine, faculté étiquetée – à tort ou à raison – « de droite » ; un comble pour un militant de la CGT semble-t-il. En avril 2014, la forte tête, toujours au bureau fédéral, est en première ligne pour la négociation sur la réforme du secteur ferroviaire. Mandaté pour la préparation des amendements au projet de loi, il est très actif en politique et sur le terrain. « Je défendais une ligne de compromis visant à utiliser le rapport de force pour négocier. Face à moi, le bureau fédéral optait pour une ligne « dure » sans « plan B » », résume-t-il. Les élections internes ne sont pas loin et l’on considère qu’il a dépassé la ligne rouge : il comprend qu’il n’est plus à sa place et qu’il doit démissionner. 

Master Négociation et relations sociales : une étape clé

Au sein du master NRS dirigé par Gérard Taponat, ancien DRH reconnu pour son innovation en termes de relations sociales (référentiel du Dialogue social), Éric Ferrères s’assoit dans la même salle que d’autres syndicalistes et des responsables des ressources humaines. Leur but commun est de parfaire leur connaissance du dialogue social en faisant disparaître les postures et en acquérant une certaine « intelligence sociale ». « J’ai beaucoup appris, avec un panel d’intervenants aux compétences très différentes. J’ai acquis en légitimité aussi. Je pense que tous les militants devraient suivre un cursus universitaire, car un mandat implique des droits et des devoirs envers les salariés et un sens des responsabilités vis-à-vis de l’entreprise. Le mandat implique aussi et surtout une obligation de formation, à tous les niveaux », commente l’ancien syndicaliste qui a obtenu en 2015 un master en droit social à l’université de Nanterre, histoire de parfaire son profil.

Mener le dialogue social avec assertivité

A aujourd’hui 40 ans, Éric Ferrères a su rebondir au bon moment en acquérant les bonnes spécialités : employé plusieurs mois à la Mutex, mutualité française, en tant qu’expert en relations sociales auprès des partenaires sociaux des branches professionnelles, il est désormais cadre à l’Observatoire social de la SNCF, au sein de la direction des relations sociales. « Pour moi il n’y a pas de développement économique sans développement social et mon expérience et les formations que j’ai suivies m’ont conforté dans l’idée que le dialogue social devait être mené avec « assertivité », c’est-à-dire dans le respect des droits de chacun, avec la volonté d’être efficace, dans un contexte complexe, où les intérêts de l’entreprise diffèrent de ceux des salariés. Pourtant, il n’y a pas de solution sans prise en compte des intérêts de chacun » affirme celui qui poursuit son parcours, fidèle à ses convictions sur la défense des droits des salariés.

 

Philippine Arnal-Roux

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